Savoir c'est pouvoir : la sérigraphie de Barbara Kruger inspire les 3ème
Vendredi 27 février – 10h30/11h30 : les élèves de 3ème découvrent une sérigraphie de Barbara Kruger – 1989
Dans un premier temps, l'oeuvre d'art est retournée, on ne la voit que de dos pour aborder les notions de forme et format. Puis la séance est lancée sur le travail de l'artiste (en quoi consiste ce travail?). Une élève explique que l'artiste, le plasticien, est là pour poser des questions et y répondre quelquefois, pour faire réfléchir les gens. Après avoir observé l'oeuvre de face cette fois, et réfléchi quelques instants sur ce qu'ils voyaient, une élève fait une première remarque sur l'aspect de tissu, de trame, ce qui permet de faire le lien avec la technique utilisée, la sérigraphie.
Dans ce visage de femme en gros plan, une élève a l'impression que tout nous ramène aux yeux, au regard. Même quand on a regardé tous les détails, on revient à ce regard qui nous fixe. Le visage coupé en deux (les élèves ne sont pas d'accord entre eux sur la symétrie ou dissymétrie) avec un côté négatif, amène un élève à évoquer une œuvre étudiée l'an dernier « Dr Jekyll et M. Hyde » et, en particulier, la couverture du livre. Deux personnes en une. Une autre élève rebondit en disant que quelquefois on a l'impression d'être deux personnes différentes. Emerge alors, dans plusieurs coins de la salle, le mot schizofrénie. Rappel de l'étymologie de ce mot. Scheizen (fendre) et phrên (esprit). Littéralement « esprit fendu ». L'attention se porte alors sur le texte, écrit dans des bandes rouges et centré, coupé en trois morceaux « collés» sur le visage. Les élèves parlent de citation puis de slogan. En fait, il s'agit bien d'une citation qui prend la forme d'un slogan. Cette phrase vient du philosophe anglais Francis Bacon (scientifique et philosophe anglais 1561-1626). Barbara Kruger est en effet une plasticienne qui travaille aussi avec les mots, le langage.
On parle alors de la fonction des slogans (imposer, influencer) et des lieux où on peut les trouver (la politique, la publicité). Les élèves peuvent imaginer le ton avec lequel ce slogan pourrait être lu. Un travail leur sera ultérieurement proposé dans ce sens. Un élève fait alors remarquer, de façon très juste que le mot savoir est posé au niveau du cerveau, et le mot pouvoir au niveau de la bouche. Ce qui oriente l'échange sur le pouvoir des mots qui sont dits. Une élève fait allusion aux mots qui nous sont adressés parfois y compris dans un cadre intime et qui restent, qui s'impriment en nous. Un autre évoque les mots qui nous influencent, ceux des journalistes par exemple.
En reprenant ces mots séparément, derrière savoir, on peut entendre aussi les mots connaissances, comprendre, conscience. Derrière pouvoir, on entend aussi manipulation, maîtrise, emprise, contrôle, domination. En essayant de comprendre le rapport entre ces deux mots, un élève rappelle judicieusement qu'au Moyen-âge, peu de gens avaient accès au savoir et ceux qui savaient, avaient le pouvoir. Un autre ramène le débat à notre époque et aux jeunes qui, actuellement, se laissent embrigader : « Quand on ne sait pas, on croit nimporte quoi et on se fait manipuler, retourner le cerveau ».
Une élève se demande quel rapport il y a entre ce visage de femme et le slogan. Une camarade intervient pour dire qu'à une époque les femmes n'étaient pas reconnues comme maintenant. On évoque alors l'époque où a été créée l'oeuvre (1989), époque marquée par le féminisme, la lutte pour le droit des femmes.
Une autre question très pertinente est posée : pourquoi une artiste américaine utilise-t elle la phrase en français ? Peut-être à cause des rimes, répond un autre élève. En fait, Barbara Kruger a réalisé cette œuvre en 1989, année du Bicentenaire de la Révolution française,
Nous terminons la rencontre par la lecture d'une déclaration de Barbara Kruger : « Non, je ne fais pas de politique à proprement parler, je questionne le langage dans toutes ses situations … J’essaie surtout d’introduire le doute dans l’esprit du spectateur, et je lutte contre les certitudes établies telles que « j’ai raison et toi t’as tort, OK ? ». « Je ne dis pas que mon art a de l’effet sur autrui, mais simplement tous les jours, à Los Angeles où je vis, mais aussi à Paris ou Londres, à la télévision et dans la rue, je vois des images et des mots qui heurtent les gens, qui les influencent. Des expressions et des opinions toutes faites, des lieux communs, des modes. Il faut être fou pour ne pas croire au pouvoir du langage. Nous en faisons tous l’expérience quotidienne. »
Après la sonnerie des élèves s'attardent pour observer de plus près l'oeuvre et en discuter encore. L'un deux confie timidement : " Pour moi, il y a un côté mort et l'autre côté qui s'est réveillé »